Une revue de presse - Hors norme

Cette revue de presse exceptionnelle se distingue par son unité thématique : pour la première fois, l’APNA consacre l’intégralité de son analyse à un seul article, celui des Échos et du Frankfurter Allgemeine Zeitung présentant l’interview croisée de Benjamin Smith (Air France-KLM) et Carsten Spohr (Lufthansa).

Un événement inédit : deux dirigeants de compagnies aériennes historiquement concurrentes parlent d’une seule voix, dans un plaidoyer commun pour la survie du transport aérien européen.

Leur discours, sans fard, fait écho point par point aux alertes que l’APNA porte depuis des années dans ces mêmes colonnes : désarmement concurrentiel, naïveté réglementaire, distorsion de concurrence avec les États du Golfe et les transporteurs extra-européens, et paralysie de la Commission face à la consolidation du secteur.

Lien de l'article

“Cette convergence n’est pas anecdotique : elle marque le tournant d’une prise de conscience collective. Quand deux rivaux historiques en viennent à défendre ensemble les mêmes positions, c’est que la gravité de la situation dépasse les querelles de marché. L’APNA a choisi de structurer cette édition autour de quatre grands thèmes combatifs, fidèles à sa ligne éditoriale.”

— Geoffroy Bouvet

 

Constat : le transport aérien européen perd du terrain

Les deux PDG, Benjamin Smith (AF-KLM) et Carsten Spohr (Lufthansa), dressent un constat alarmant : le transport aérien européen perd du terrain face à des concurrents extérieurs bénéficiant d’un accès asymétrique au marché. En vingt ans, l’offre long-courrier des trois grands groupes européens a presque stagné : +14 % pour Air France, +16 % pour Lufthansa, –1 % pour British Airways entre 2005 et 2024; quand celle des compagnies extra-européennes a explosé : +651 % pour Turkish Airlines, +914 % pour Qatar Airways et +357 % pour Emirates.

Ces transporteurs, soutenus par leurs États, ont profité d’un accès quasi total à l’Europe sans offrir de réciprocité, captant ainsi les flux de passagers et d’emplois qui auraient dû renforcer les hubs européens.

Résultat : plus il y a de vols passant par Doha, Dubaï ou Istanbul, plus il devient difficile pour les compagnies européennes d’ajouter ou de maintenir des liaisons directes long-courriers, notamment vers l’Asie. Pour Carsten Spohr, la question dépasse l’économie : « Efforçons-nous au moins de rester connectés aux marchés mondiaux par nos propres moyens, et non pas par ceux d'autres pays. »

Analyse de l’apna:

Ce constat lucide acte la perte de connectivité souveraine de l’Europe. En laissant s’installer un déséquilibre aussi flagrant, l’Union a ouvert la voie à une vassalisation aérienne : nos passagers, nos flux, nos emplois, redirigés vers des hubs étrangers. Ce n’est plus un débat idéologique, mais une question de souveraineté et de sécurité économique.

Car, comme le rappelle Spohr, un continent qui ne maîtrise plus ses connexions ne maîtrise plus sa place dans le monde.

L’Europe doit cesser d’être un marché offert et redevenir une puissance aérienne organisée, capabale de rester connectée par ses propres moyens, avant que ses hubs — et ses savoir-faire — ne deviennent de simples escales pour d’autres.

 

Accord « ciel ouvert » UE-Qatar et soupçons de corruption

Les deux dirigeants jugent l’accord de ciel ouvert UE-Qatar catastrophique.

Benjamin Smith souligne que la demande réelle entre les Pays-Bas et le Qatar est « infime ». Environ 50 000 passagers par an, alors que Qatar Airways offre une capacité dix fois supérieure : un déséquilibre servant à détourner le trafic européen vers Doha.

Ils rappellent que cet accord est entaché de soupçons de corruption notoires et dénoncent son maintien incompréhensible.

Carsten Spohr ajoute qu’il accroît les émissions de CO₂, rallongeant les trajets et déplaçant les emplois européens vers des pays sans normes sociales comparables : « Cela va à l’encontre de tout ce que l’Europe représente. »

Analyse de l’apna:

Ce passage est l’un des plus forts du dialogue : il met en lumière le triple contresens d’un accord qui trahit à la fois l’économie, l’écologie et le modèle social européen.

  • Économique, parce qu’il fausse le marché au profit d’une compagnie d’État subventionnée.

  • Écologique, parce qu’il rallonge inutilement les trajets, augmentant les émissions globales au lieu de les réduire.

  • Social, parce qu’il déplace les emplois qualifiés et fiscalisés européens vers des pays où les droits sociaux sont inexistants.

Ce n’est pas un simple désaccord commercial : c’est une faute stratégique majeure. En prétendant défendre la concurrence ou obtenir des gages de transparence, Bruxelles a offert un avantage structurel à des États-compagnies dont l’objectif n’est pas la rentabilité, mais l’expansion d’influence.

Inégalités de traitement et distorsions de concurrence

Les dirigeants de Lufthansa et Air France-KLM reconnaissent la nécessité de la décarbonation, mais dénoncent les distorsions de concurrence créées par des règles européennes inégalement appliquées. Benjamin Smith rappelle que :

« Si vous effectuez une correspondance en Europe pour vous rendre de Nice à Tokyo, l’obligation d’incorporer du carburant durable s’applique sur tout le trajet. En revanche, si vous transitez par un hub hors d’Europe, cette obligation disparaît. »

Carsten Spohr propose une réponse simple : « Transformer l’obligation SAF en une contribution unique par passager quittant l’Europe, calculée selon les émissions pour la destination finale. Ainsi, tous participeraient équitablement à la transition, qu’ils volent sur une compagnie européenne ou du Golfe. »

Les deux dirigeants évoquent aussi le survol de la Russie, interdit aux compagnies européennes mais pas à leurs concurrentes chinoises ou moyen-orientales. Spohr note : « Le président Trump veut interdire l’accès à l’espace aérien américain aux vols survolant la Russie. Nous espérons que l’Europe suivra cet exemple. »

Enfin, Ben Smith plaide pour une réforme du règlement EU261 sur l’indemnisation des passagers : « Le principe de base devrait être que nous indemnisons seulement les retards dont nous sommes responsables. »

Analyse de l’apna:

L’Europe s’impose des contraintes dont ses concurrents se moquent, au détriment de sa compétitivité. L’APNA soutient sans réserve la double approche défendue par Spohr et Smith :

  • Fermeté géopolitique, par la réciprocité des règles d’accès à l’espace aérien européen, notamment en refusant l’entrée aux vols survolant la Russie.

  • Justice économique, via une contribution unique par destination finale finançant le SAF, alliant écologie et équité.

Enfin, la réforme de la réglementation passagers doit s’inspirer du principe de responsabilité réelle : indemniser uniquement les retards dont les compagnies sont responsables, pas ceux dus à la météo, à la gestion du trafic ou à la bureaucratie.

Ces mesures simples et cohérentes permettraient enfin à l’Europe de mener une politique aérienne lucide, fondée sur la réciprocité, la compétitivité et le bon sens.

Consolidation européenne et carcan concurrentiel

Benjamin Smith et Carsten Spohr défendent la nécessité vitale de consolider le transport aérien européen.

Ils rappellent que les États-Unis et la Chine disposent chacun de trois grands groupes puissants – United, Delta, American d’un côté, China Southern, China Eastern, Air China de l’autre – quand l’Europe reste fragmentée par une réglementation trop rigide et des procédures de fusion interminables.

« En Europe aussi, nous devons créer trois groupes puissants », martèle Smith

La Commission européenne, en multipliant les contraintes et les délais d’examen, empêche la constitution de champions européens capables de rivaliser à armes égales avec ces mastodontes.

Analyse de l’apna:

L’Europe est la seule puissance économique qui empêche l’émergence de ses champions.

Ces six transporteurs américains et chinois forment le socle consolidé d’une puissance aérienne mondiale, soutenus par leurs États et libres de se regrouper.

À l’inverse, Bruxelles confond concurrence et affaiblissement, interdisant aux compagnies européennes de croître au nom d’un dogme de concurrence interne totalement déconnecté du marché mondial, pendant que leurs rivaux s’unissent.

En d’autres termes, Bruxelles surveille le terrain de jeu, pendant que les autres continents possèdent le stade.

À force de voir la concurrence comme un absolu plutôt qu’un outil de puissance, l’Union européenne a brisé sa propre échelle : elle interdit aux compagnies européennes de devenir grandes, tout en laissant prospérer les géants d’État étrangers.

Méthode FORDEC appliquée au transport aérien européen

F – Faits :

Les compagnies européennes stagnent ou régressent, quand leurs concurrentes, Qatar Airways, Emirates et Turkish Airlines, disposent chacune de plus de 200 gros-porteurs en commande, alors qu’Air France-KLM et Lufthansa n’en comptent pas autant dans leurs flottes actuelles. Soutenues par leurs États, ces compagnies bénéficient d’accords de ciel ouvert asymétriques et d’un accès illimité au marché européen, tandis que nos hubs surtaxés et fragmentés perdent en compétitivité.

O – Options :

Deux choix :

  • Agir en redonnant à l’Europe les moyens d’une concurrence équitable; consolidation, réciprocité, stratégie industrielle et écologique cohérente.

  • Ou subir, en continuant à sacrifier notre aviation sur l’autel du politiquement correct et de l’exemplarité climatique.

R – Risques :

Le premier choix implique d’affronter les lobbys écologistes et la frilosité politique. Le second condamne l’Europe à devenir une escale pour les autres puissances, perdant emplois, savoir-faire et souveraineté.

D – Décision / E – Exécution :

Concrètement, l’Europe doit :

  • Rééquilibrer les accords de ciel ouvert (notamment avec le Qatar et la Turquie),

  • Unifier le cadre de la décarbonation, en transformant l’obligation SAF en contribution unique par destination finale,

  • Accélérer la consolidation autour des trois grands groupes européens (AF-KLM, Lufthansa, IAG)

  • Sanctionner toute distorsion géopolitique, notamment par la fermeture du ciel européen aux compagnies survolant la Russie.

C – Contrôle :

L’efficacité de ces décisions devra être mesurée par des indicateurs tangibles :

  • Part de marché européenne dans le trafic long-courrier,

  • Niveau d’emploi dans la filière aéronautique,

  • Réduction réelle des émissions globales, en intégrant les détours via les hubs étrangers,

  • Rentabilité consolidée des trois grands groupes européens.

D – Décision / E – Exécution :

Concrètement, l’Europe doit :

  • Rééquilibrer les accords de ciel ouvert (notamment avec le Qatar et la Turquie),

  • Unifier le cadre de la décarbonation, en transformant l’obligation SAF en contribution unique par destination finale,

  • Accélérer la consolidation autour des trois grands groupes européens (AF-KLM, Lufthansa, IAG)

  • Sanctionner toute distorsion géopolitique, notamment par la fermeture du ciel européen aux compagnies survolant la Russie.

C – Contrôle :

L’efficacité de ces décisions devra être mesurée par des indicateurs tangibles :

  • Part de marché européenne dans le trafic long-courrier,

  • Niveau d’emploi dans la filière aéronautique,

  • Réduction réelle des émissions globales, en intégrant les détours via les hubs étrangers,

  • Rentabilité consolidée des trois grands groupes européens.

Analyse de l’apna:

En conclusion, l’Europe doit choisir : Retrouver sa souveraineté aérienne ou disparaître lentement du ciel mondial. On est soit à table, soit au menu et l’Europe, aujourd’hui, est en train d’être servie.

 

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