Ryanair : la loi du plus fort face aux aéroports régionaux

Ryanair a mis à exécution ses menaces : la compagnie réduit de 11 % son offre en France cet hiver, supprimant plus de 330 000 sièges dans une vingtaine d’aéroports régionaux, dont certains voient leur activité divisée par deux. Officiellement, la compagnie incrimine la hausse de la taxe de solidarité sur les billets, qu’elle juge confiscatoire (25 € par passager pour un billet moyen à 45 €). En réalité, elle déplace ses avions vers des pays plus dociles — Pologne, Italie, Irlande ou Portugal — où la fiscalité est plus légère et les pouvoirs publics plus accommodants.

Cette contraction de l’offre accentue la perte de connectivité régionale française et menace 3,5 millions de visiteurs et 2,3 milliards d’euros de dépenses touristiques selon la FNAM. Mais dans le même temps, Ryanair affiche desrésultats records : 820 millions d’euros de bénéfices nets au premier trimestre, plus du double de 2024, et 61 millions de passagers transportés durant l’été.

L'analyse de l'APNA:

« Résister au chantage, sans nier les faiblesses françaises »

  • Il serait tentant de réduire le bras de fer entre Ryanair et l’État français à une simple opposition entre un prédateur fiscal et une puissance publique vertueuse. La réalité est plus nuancée. Si Michael O’Leary incarne à merveille la brutalité d’un capitalisme de rapport de force, il arrive — comme une horloge en panne qui donne l’heure juste deux fois par jour — qu’il ait raison sur certains constats.

  • Oui, la navigation aérienne française est dans un état préoccupant. Ses performances dégradées — retards structurels, grèves récurrentes, absence d’espace aérien unique européen — pèsent lourdement sur la compétitivité du ciel français et sur l’attractivité du territoire. De même, la politique de taxation du transport aérien, fondée sur une logique punitive plutôt qu’incitative, fragilise la connectivité des régions et renchérit le coût de l’accès au territoire national. La France est aujourd’hui le seul grand pays européen à afficher une quasi-stagnation du trafic (-1,5 % sur les lignes intra-européennes) quand ses voisins croissent de 5 à 10 %.

  • Mais ces faiblesses internes ne sauraient justifier le chantage économique pratiqué par Ryanair. La compagnie irlandaise ne subit pas le système : elle s’en sert. Elle déplace ses avions, menace de fermer des bases, puis revient dès qu’une collectivité paie la facture. Ce modèle d’exploitation — entre dumping social, optimisation fiscale et instrumentalisation des territoires — n’a rien d’un moteur durable de connectivité.

  • L’exemple espagnol, cité par Tourmag, illustre qu’il est possible de tenir bon : AENA a refusé de plier face à O’Leary et ses provocations, rappelant que « les aéroports ne doivent pas fonctionner au rythme des pleurnicheries et de l’extorsion ». La France semble enfin adopter ce ton, avec la fermeté affichée du ministre Philippe Tabarot : « Du dialogue, oui, mais pas de menace. » Et les faits lui donnent raison : à Strasbourg, Volotea a remplacé Ryanair, maintenant la desserte et créant 70 emplois.

  • En conclusion, il faut savoir distinguer le diagnostic lucide du chantage cynique. Oui, la fiscalité et la navigation aérienne françaises doivent être réformées pour soutenir la compétitivité et la cohésion territoriale. Mais céder aux injonctions d’un dirigeant qui transforme chaque taxe en prétexte à extorsion serait une faute politique majeure.

  • Résister à Ryanair ne signifie pas ignorer nos propres failles : cela signifie refuser qu’elles deviennent un fonds de commerce pour ceux qui confondent la liberté d’entreprendre avec la loi du plus fort.

Sources :

https://www.tourmag.com/Ryanair-Michael-O-Leary-et-les-tropismes-trumpistes-ABO_a128707.html

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